La Belle Ernestine - Saint-Jouin-Bruneval

"Enguirlandée de plantes grimpantes, le jardin régulièrement dessiné,  bordé de buis, planté de poiriers en quenouilles et de pommiers au cordeau, son beau potager, et, plus loin, séparée par une haie, une cour herbeuse qu'ombrage un vrai toit de pommiers, et aussi l'hôtellière qui attend devant sa porte, rieuse et fraîche. " Tel parle Guy de Maupassant de l'auberge la Belle Alphonsine, alias la Belle Ernestine, dans son roman Pierre et Jean, en 1888.

Toutefois  l'auberge existe réellement, et l'écrivain Maupassant y fut, comme de nombreux artistes, un fidèle client, y faisant halte lors de ses nombreuses excursions pédestres à la découverte du littoral.

Il (Maupassant Dit Joseph Prunier)"connaissait « dans les moindres replis la Côte où il avait été élevé », leur faisait faire dans tout le pays, les falaises, les grottes, etc. : ils partaient à pied, marchaient grand train jusqu’à Saint-Jouin « où l’on festoyait et s’attardait à l’auberge de “La Belle Ernestine”, une bonne et saine Normande »" Léon Fontaine - manuscrit.

Ernestine Auboug, dont les parents étaient eux-mêmes aubergistes dans le même village, acheta de cette belle demeure à façade ornée de silex vers 1870, construite une quanrantaine d'années plus tôt, et la remit seule en état.  Pendant la Commune de 1871, elle fit la connaissance d'Albert Besnard, réfugié en Normandie, qui est alors peintre décorateur de grands édifices parisiens. De leur liaison naît un garçon mais Besnard quitta tout aussi vite la région la paix revenue,  assumant toutefois financièrement sa charge paternelle. Ernestine poursuivit l'éducation de son fils (architecte, maire de Saint-Jouin) tout en donnant à son auberge la réputation qu'on lui connaît grâce notamment à Etretat qui est tout proche (7km). Etretat, où tous les grands artistes de l'époque se donnent rendez-vous durant l'été : Monet, Courbet, Corot, Offenbach, Dumas père et fils, et bien sûr, l'enfant du pays, Maupassant.  Ils viennent partager à la Belle Ernestine un repas convivial,  sans protocole, à la bonne franquette,  laissant des autographes qu'Ernestine collectionne. Même la reine d'Espagne Isabelle, en villégiature à Etretat, se vit servir :

Une reine, eh ben ! une reine c’est fait comme moi. J’vas li servir des tripes à c’te femme. J’suis sûre qu’a n’en mange pas souvent et qu’a l’aimera mieux ça qu’tous vos plats. »

« Eh bien, si a n’veut pas r’venir, a ne reviendra pas. Moi je n’me gêne point. »

PS : la reine renouvella sa visite encore deux fois. 

Ernestine fit vivre son auberge à la solide réputation jusqu'en 1918, date à laquelle elle mourut.

L'été, la Normandie, est donc le théâtre de rencontres plus ou moins opportunes, comme celle de Dumas  père et de Courbet au Havre, alors accompagné de Monet, rencontres qui se terminent souvent autour d'une table.  Courbet décide d'aller chez Dumas, qui habite dans une longère et surtout, qu'il n'a jamais rencontré. Ainsi, lors de la rencontre, "Dumas et Courbet se tutoient immédiatement. Tu vas dîner avec moi, et le jeune homme aussi. Le lendemain, tous trois doivent partir à Etretat, chez la Belle Ernestine. Rendez-vous avait été pris, et Monet se trouvait à l'endroit désigné, avant l'heure ! Courbet n'y était pas encore. Monet monte chez lui  : il dormait profondément, ronflait à poings fermés. Etonnement de Dumas : -J'ai

  fréquenté des rois, dit-il,

ils ne m'ont jamais fait attendre ! Enfin, ils partent, passent à Etretat de plantureuses journées. 

Dumas à table était merveilleux, parlant sur tout, art, histoire, politique, amour, cuisine, répondant à tout, jamais à court, spirituel, éloquent. Courbet dut l'admirer, tout bavard qu'il était, et Monet, silencieux, encore davantage ! Quand Dumas et Courbet ne causaient pas, ils chantaient, faisaient la cuisine ensemble, Courbet avec des recettes de Franche-Comté, Dumas avec des recettes du monde entier ! " Claude Monet, sa vie, son temps, son oeuvre - G. Geffroy

source internet

La Belle Ernestine est aujourd'hui une propriété privée. Toutefois, sont charme reste inchangé ainsi que l'envie de pousser la porte pour y entrer.